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14 octobre 2008 2 14 /10 /octobre /2008 17:49

Chemin vers la liberté ?

 

Nous voici arrivés à notre deuxième point. De quelle liberté parlons-nous ? Les définitions de « l’homme libre » ne manquent pas ! Les définitions d’un Jean Jacques Rousseau ont par exemple la vie dure ! « L’homme est né libre, et partout il est dans les fers ! » [1] L’éducation consiste alors à retrouver cet état de liberté initial, faisant confiance en la bonté naturelle de chacun, se méfiant de toute règle, contrainte extérieure, d’ordre moral ou religieux. Quand on parle de l’éducation comme un chemin qui nous rend libres, la question que l’on a à se poser est :  libres de quoi ? La pensée contemporaine dominante propose une réponse, aux antipodes de l’interprétation protestante classique de la liberté.

 

L’éducation, selon la pensée contemporaine dominante,  se veut libératrice : elle consiste en une réalisation de soi, plutôt que celle d’une individu  membre d’une communauté, voire de l’humanité. « La liberté consiste en l’usage de la méthode scientifique. Elle implique de se débarrasser de toutes choses qu’on ne peut prouver par la méthode scientifique ; celle-ci, bien sûr, présuppose que Dieu n’existe pas et que la raison autonome de l’homme est l’arbitre final de la réalité. En ces termes, la liberté signifie l’indépendance de l’homme par rapport à Dieu, et à toute loi ou standards divins, de telle sorte que la loi et la moralité ne sont pas données par Dieu, mais créées par l’homme selon des critères utilitaristes et pragmatiques. Ce but éducatif qu’est cette conception de la liberté est en tout point similaire à celui que proposait le tentateur : « vous serez comme des dieux (tout homme est son propre dieu), connaissant (c'est-à-dire déterminant par vous-même, en termes de ce qui est le meilleur pour vous , ce qui constitue) le bien ou le mal (idées qui ne sont pas des absolus, mais qui sont le fruit d’une construction humaine, de façon à ce que l’homme puisse mieux réaliser ses propres valeurs et buts). »(Genèse 3 :5). La liberté telle qu’elle a été définie par l’éducation moderne est en fait, selon les Ecritures, un péché. »[2]

 

Le but de l’éducation n’est pas donc pas atteint avec l’apparition d’un homme épanoui, cultivé, discipliné, efficace ou même hautement moral. « Il faut aussi que s’affirme simultanément et sans doute avant toutes choses un être conscient d’avoir reçu une vie toute nouvelle par grâce, un être qui manifeste ne serait-ce que partiellement cette liberté à l’égard de son moi et des contraintes qui le lieraient jusqu’à la mort dernière. « Si le Christ vous affranchit, vous serez véritablement libres »[3]. « Vous avez été appelés à la liberté, ne vous laissez pas remettre sous le joug de la servitude ».[4] « Là où est l’esprit de Christ, là est la liberté. »[5] Cet hymne à la liberté monte de toutes les pages du Saint Livre et en particulier du Nouveau Testament. L’éducation protestante soutient qu’avec ce second Adam, ce verbe de Dieu incarné, la liberté est réellement entrée dans ce monde et en chaque croyant. Une nouvelle création est déjà en gestation puisqu’il en est le premier-né et que la mort n’a pu l’anéantir. La vertu de son obéissance et sa puissance libératrice se transposent chez les hommes ses frères. L’essentiel est de lui dire « oui », un « oui » volontaire et résolu qui est le premier balbutiement de l’homme nouveau, né de l’Esprit. »[6] Il n’y a donc pas de véritable liberté sans conversion à Dieu. L’éducation protestante a été ce chemin qui conduit à la liberté dans la mesure où elle a mis Dieu et Sa Parole au centre du processus. Je dis « dans la mesure où » car toutes les voix protestantes ne sont pas aujourd’hui d’accord là-dessus : certaines avancent que la pédagogie est devenue une discipline libérée de la théologie, s’étant émancipée de sa tutelle, comme un enfant devenu adulte, et que c’est une très bonne chose!  [7]

 

L’éducation protestante, et plus largement l’éducation chrétienne va souligner le fait que la liberté se trouve dans le salut qu’offre Jésus-Christ. Au lieu d’enseigner la liberté comme étant  l’indépendance radicale vis-à-vis de Dieu, l’éducation chrétienne enseigne la liberté comme dépendance radicale vis-à-vis de Lui. Toute indépendance vis-à-vis de Lui conduit à une dépendance  et un asservissement vis-à-vis de personnes, d’idéologies, de philosophies…Ne pas adorer Dieu dans un domaine, revient à adorer d’autres dieux, automatiquement. « Tu n’adoreras que Dieu seul », tel est le premier commandement, condition de la liberté, garantie contre tout asservissement.

 

Il est une liberté que tous les protestants ont toujours défendue, quelle que soit l’époque : la liberté de conscience. L’éducation protestante en particulier l’a toujours chérie. La haute valeur que l’éducation protestante attribue à la liberté et au respect des personnes trouve sa confirmation dans la manière dont elle condamne toute tentative d’ imposer de force des croyances religieuses à l’élève. L’enseignement des idées religieuses doit toujours laisser à l’élève la permission de ne pas être d’accord avec ce qui lui est enseigné, et même de le rejeter…Le protestant ne doit obéir, ultimement, à aucune autorité extérieure mais seulement à sa conscience, informée par Dieu parlant dans la Bible. En plein milieu d’une époque où les tensions entre catholiques et protestants étaient sévères, un article du règlement de l’Académie de Nîmes stipulait : « Les écoliers de la religion contraire ne sont pas tenus d’assister au catéchisme et aux autres exercices de la religion réformée »[8]. Déclaration caractéristique de la haute estime accordée à la liberté de conscience. Il est intéressant de souligner que face à la laïcisation anti-religieuse du 19ème siècle,  l’école protestante était apparue à la plupart des protestants jusque dans les débuts de la Troisième République comme un moyen de défendre la liberté de conscience ![9]

 

L’éducation protestante, chemin vers la liberté ?

 

Les valeurs soulignées par l’éducation protestante jalonnent et rendent donc possible ce chemin vers la liberté : l’enfant reste l’enfant de ses parents, au lieu d’être vu comme celui d’un Etat, d’une église ou d’une idéologie. La dimension holistique de son éducation, incluant donc la dimension spirituelle, est également libératrice, puisque répondant à la soif spirituelle, à la quête de sens, caractéristiques de tout homme. En rendant accessible au plus grand nombre la connaissance de Dieu par la connaissance de Sa Parole au moyen de l’apprentissage systématique de la lecture et de l’écriture,  l’éducation protestante a contribué à élever le niveau culturel tout en approfondissant la dimension cultuelle de l’homme, terrain favorable à l’exercice d’une liberté responsable. Sa recherche constante de la vérité l’a souvent préservée des enfermements idéologiques. Les valeurs accordées au savoir-vivre, au travail, à la formation du caractère, à la responsabilité et au respect, ont  favorisé  également l’apprentissage d’une liberté authentique, qui ne porte pas atteinte  à celle des autres.

 

Bien que ces valeurs semblent perdurer - et cela resterait encore à démontrer - on ne peut s’empêcher de constater une perte d’identité, de conviction et d’influence dans ce domaine de l’éducation protestante. Les chemins vers la liberté qu’elle a su frayer ont perdu de leur clarté, de leur lisibilité : les épines et les ronces, autant d’influences philosophiques et théologiques diverses, les ont rendus peu praticables. En fait, nous pouvons relever que chacune des valeurs fondamentales de l’éducation protestante est actuellement minée. C’est ce que je  propose d’évoquer maintenant.

 

-        L’enfant appartient à la famille. On ne peut que constater une perte de l’influence de la famille. Une grande partie de l’éducation est confiée aux institutions de l’Etat, sans souci de corriger  à la maison les influences scientistes, rationalistes, relativistes, post-modernistes ou autres « istes » qui y sont véhiculées. Une déresponsabilisation croissante s’observe, même dans le cadre de nos églises où les parents ont tendance à confier leurs enfants à l’école du dimanche pour être déchargés de leur mission de premiers catéchistes. Redonner à la famille la vision de sa mission de première éducatrice et l’équiper dans ce but en s’inspirant de la solide vision de la famille véhiculée dès le début de la Réforme : telle serait, à mon sens, l’une des priorités de la grande communauté protestante, pas vers la restauration de ces chemins vers la liberté.

 

-        L’approche holistique de l’éducation a été également mise à mal. En effet, le processus de sécularisation de nos sociétés a relégué tout ce qui est du domaine spirituel à la sphère privée, favorisant la création de compartiments étanches entre le domaine « sacré » d’un côté, et le domaine « profane » de l’autre, entre ce que Francis Schaeffer nommait le « niveau supérieur » et le « niveau inférieur »[10]. C’est avec cette séparation étanche entre la science et la foi, la raison et la révélation, la culture et le culte, que l’école française s’est développée. Herrman Dooyeweerd, philosophe réformé, a écrit : « On oublie que la sécularisation de la vie n’a été possible que par le processus de la sécularisation de la science, et que la sécularisation scientifique s’est effectuée sous l’influence dominatrice de la sécularisation religieuse accomplie par l’humanisme moderne depuis la Renaissance. » [11] Ce dualisme de la pensée séculière s’oppose donc à la « pietas litterata » de l’éducation protestante du temps de la Réforme. Le salut ne concerne pas seulement l’individu, mais toute la culture, écrivait Francis Schaeffer. Pierre Courthial, ancien doyen de cette faculté d’Aix-en-Provence, écrivait : « Le culte que nous avons à rendre à Dieu doit progresser peu à peu, non seulement dans notre vie cultuelle, au sens étroit, par rapport  à l’Eglise instituée, mais aussi, au sens large, et d’une manière surtout, dans notre vie culturelle, par rapport au Règne de Dieu (et à l’Eglise au sens large), qui embrasse, avec et bien au-delà de l’Eglise instituée, tous les aspects éthique, professionnel, légal, artistique, économique, civique, social, relationnel, historique, intellectuel, etc, de la vie de l’homme[12] » Une éducation qui se veut protestante ne peut s’empêtrer dans une vision dualiste du monde, fruit des philosophies des Lumières. Elle comprend qu’ « il n’y a aucun domaine de la culture des hommes dont le Christ ne puisse dire : « c’est à Moi ! » pour reprendre la célèbre citation d’Abraham Kuyper. Bref, elle ne peut se désintéresser de l’école, lieu privilégié de transmission de culture et de valeurs. Elle ne peut se désintéresser du mandat culturel donné par Dieu aux hommes des les premiers chapitres du livre de la Genèse. Sinon, la constatation de Martin Luther King perdurera : « La plupart des gens, et des chrétiens en particulier, sont des thermomètres qui enregistrent l’opinion de la majorité, pas des thermostats qui transforment et régulent la température de la société. Les chrétiens sont des « suiveurs » de culture plutôt que des initiateurs de culture! »[13]  L’éducation protestante qui s’inspire de la Réforme met en avant le fait que « tous les trésors de la sagesse et de la connaissance »[14] sont en Jésus-Christ, que tout est « de Lui, par Lui et pour Lui » [15], que toute connaissance, dans une perspective biblique, conduit à la  RE – connaissance[16], que la formation d’un disciple touche aussi bien sa dimension spirituelle qu’intellectuelle ou physique. C’est cet aspect-là qui fonde le récent mouvement d’implantations d’écoles protestantes évangéliques, et non une volonté de repli communautariste qu’on veut bien lui prêter.

 

Une autre valeur de l’éducation protestante est la connaissance de la lecture et de l’écriture, afin de connaître les Ecritures et Dieu. La tendance actuelle est de conserver le moyen, excellent, tout en oubliant  la finalité de cette connaissance. Permettez-moi de vous citer le texte d’introduction au premier abécédaire en langue française, utilisé dans les écoles protestantes des 16ème  et 17ème siècles : « Grands et petits qui désirez apprendre à servir Dieu par son Fils Jésus-Christ, cet ABC il vous conviendra prendre, en invoquant l’aide du Saint Esprit… »[17] La finalité de toute instruction, de toute éducation,  reste la connaissance de Dieu et l’acquisition de la sagesse. La pauvreté actuelle de la réflexion quant à la finalité de l’éducation est proportionnelle à la richesse des moyens déployés, jamais égalée. Retrouver le sens des finalités de l’éducation, voici l’un des défis à relever aujourd’hui. Alexandre Vinet disait : « Le chrétien seul conçoit toute la dignité de l’instruction. C’est l’héritier du ciel qu’il forme dans ces écoles, c’est en vue d’un bonheur spirituel, éternel, qu’il apprend à l’enfant à lire et à écrire ; ses maîtres sont, en quelque sorte, des apôtres, ses élèves, des prosélytes, ses écoles des temples, la science qu’il enseigne, la science même de Dieu. » [18]


[1] Rousseau: “Du contrat social”

[2] Traduction de « Education for freedom » de Rousas John Rushdoony  tiré de “the philosophy of the Christian curriculum” Ross House Books.

[3] Evangile de Jean 8 :36.

[4] Galates 5 :1

[5] 2 Corinthiens 3 :17

[6] Pierre Tirel, pasteur de l’Eglise Réformée, article intitulé : « L’éducation protestante jadis et naguère », du recueil : La Réforme et l’éducation. Privat  1974.

[7] Maurice Baumann. « Le protestantisme et l’école ». Labor et Fides 1999.

[8] P.D Bourchemin « Etudes sur les académies protestantes en France aux XVIème et XVIIème siècles ». Paris. 1882. p 189 article XXVI. Cité par J. Fouilleron et A. Blanchard dans « La Réforme et l’éducation » Privat, 1974

[9] Jean Claude Vinard : « Les écoles primaires protestantes en France de 1815 à 1885 » p 227. Mémoire de maîtrise de la Faculté de théologie de Montpellier, Juin 2000.

[10] Francis Schaeffer. « Démission de la raison ». Maison de la Bible. Genève.

[11] Dr H. Dooyeweerd : « La sécularisation de la science ». Revue Réformée n° 17, 1954.

[12] Pierre Courthial : « De Bible en Bible »

[13] Martin Luther King. « La force d’aimer ». Casterman, p 28.

[14] Colossiens 2 :3

[15] Romains 11 : 36

[16] Les choses visibles reflétant les invisibles et nous encourageant à rendre « grâces à Dieu » : Romains 1.

[17] Cité par Thomas Filipczak : « Pensées et pratiques pédagogiques des protestants au 16ème siècle ». Mémoire de maîtrise.  Lille III. 1990.

[18] Alexandre Vinet : « La Famille, l’Education et l’Instruction »

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