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6 novembre 2010 6 06 /11 /novembre /2010 19:34

Ce cadre familial n’est pourtant pas destiné à garder le jeune dans une relation de dépendance. L’exercice de la discipline, la transmission de l’instruction, au contraire, contribuent à un véritable affranchissement de toute servitude intérieure, de toute dépendance extérieure. C’est bien le sens de Proverbes 3 : 7-8 : « Ne sois point sage à tes propres yeux, Crains l’Eternel, et détourne-toi du mal: Ce sera la santé pour tes muscles, Et un rafraîchissement pour tes os ». Littéralement, cela donne « : Ne te prends pas pour un sage, respecte le Seigneur et évite le mal, alors ton nombril se cicatrisera et tes membres retrouveront leur fraîcheur. [1]» « Ton nombril se cicatrisera » indique, selon Alophonse Maillot et André Lelièvre[2], que l’enfant a cessé d’être dépendant de sa mère ; désormais, il respire puis s’alimentera par ses propres moyens ; il est libre, « adulte », autonome..., non pas en ayant rejeté la place de la religion comme les gens dits émancipés, mais en respectant le Seigneur. Car, paradoxalement, cette phrase qui fait allusion aux débuts de l’indépendance et de la liberté humaine succède au verset 7, où il est dit « respecte le Seigneur » ; obéis-lui, sois-lui soumis…alors tu deviendras un homme libre…un homme au nombril cicatrisé ! En français, l’expression «  couper le cordon ombilical » rend bien la même idée. C’est exactement la même affirmation théologique que dans le récit de la sortie d’Egypte, où le peuple israélite ne se trouvera définitivement délivré de l’esclavage qu’en recevant les dix commandements…Toute la discipline, la correction, les instructions que Dieu donnera à son peuple dans le désert seront une « pédagogie » pour le préparer à entrer dans le pays promis. Quelle perspective positive de la discipline et de l’instruction !

 

            Si le foyer parental est le cadre privilégié de transmission de l’instruction, de l’exercice de la discipline, en vue de former des être libres, il n’est pas le seul. En effet, nous avons vu que celui qui s’adressait au jeune en l’appelant « mon fils », n’était pas forcément le père biologique, car les maîtres s’adressaient ainsi à leurs disciples. James L.Crenshaw note que « bien que l’éducation se passait à la maison, elle pouvait être complétée par des corporations spéciales qui tâchaient de perpétuer un monopole de certaines techniques. Par la suite, ces corporations associées avec le temple et la cour royale sont devenues puissantes, offrant leur formation à des personnes du dehors alors que les besoins de scribes et de sacrificateurs se faisait sentir [3]». Dans le même sens, Gerhardt Von Rad constate : « Il doit y avoir eu des écoles de diverses espèces en Israël. Les choses du rite et les distinctions complexes entre le pur et l’impur ont dû être enseignées dans des écoles sacerdotales. Les scribes du Temple de Jérémie 8.8 ont certainement été formés autrement que les jeunes fonctionnaires de la cour. Et les Lévites doivent avoir reçu, eux aussi, une autre instruction qui les préparait à l’interprétation des traditions anciennes et à leur diffusion par la prédication. Enfin, on avait besoin d’une instruction préparatoire toute différente pour travailler à la chancellerie d’Esdras où étaient élaborés les édits du Grand Roi. [4]» Ainsi le cadre de l’exercice de la discipline/instruction dépassait celui de la famille, sans le remplacer toutefois. Un dernier cadre est à relever : les amis aussi ont un rôle dans l’exercice de la discipline mutuelle, preuve de leur réelle amitié : « Mieux vaut une réprimande (towkechah) ouverte qu’une amitié cachée. Les blessures d’un ami prouvent sa fidélité, Mais les baisers d’un ennemi sont trompeurs » (Pr 27 :5-6). « Celui qui reprend les autres trouve ensuite plus de faveur Que celui dont la langue est flatteuse. » (Pr 28 :23)

 

Le fondement de la discipline et de l’instruction.

 

            L’exercice de la discipline/instruction a un fondement souligné à maintes reprises tout au long du livre des Proverbes, mais caractéristique aussi de la littérature sapientiale : le fondement incontournable de « la crainte du Seigneur ». C’est ce qui fait la spécificité biblique des notions que nous étudions, et qui leur donne un aspect inégalé parmi toutes les cultures environnantes qui, elles aussi, leur accordent pourtant de l’importance. « La crainte de l’Eternel est le commencement de la science; les insensés méprisent la sagesse et l’instruction (musar) » (Pr 1 : 7) La version du Semeur préfèrera : « La clé de la sagesse, c’est de révérer l’Eternel, mais les insensés dédaignent la sagesse et l’éducation ». On va retrouver cette expression en Pr 9 :10, mais aussi dans le Psaume 111 : 10 ainsi qu’en Job 28 :28…La sagesse  n’a donc rien de profane : car tout ce qu’elle véhicule, ce sur quoi elle se fonde, ce vers quoi elle tend, a un contenu fondamentalement religieux, dans le sens de « relié à », et ici, relié au Dieu vivant de la Bible, source de toute sagesse. La sagesse, dont   la discipline et l’instruction sont un aspect, a pour fondement Dieu lui-même : car le commencement de la sagesse, c’est la « crainte de l’Eternel ». Ce terme ne signifie pas ici « terreur », signification que l’on peut trouver par ailleurs dans l’Ancien Testament dans le sens de terreur du sacré. Il comporte  à la fois[5] un sens cultuel  (la fidélité au Dieu de l’alliance), un sens moral (un comportement personnel) et un sens « nomiste » (l’obéissance à la Loi). Or aucun de ces sens n’est indépendant des notions d’instruction et de discipline !

 

            Dans le livre des Proverbes, cette expression « crainte du Seigneur » exprime surtout le sens moral : c’est le comportement de celui qui a une conduite conforme à la volonté du Seigneur. C’est en somme l’obéissance à la volonté de Dieu. Ce n’est donc pas une peur de Dieu, mais un sentiment et une volonté de respecter la volonté de Dieu et de lui obéir. On pourrait dire – si l’on veut parler de peur – que la crainte de Dieu est la peur de désobéir au Seigneur et de lui déplaire : dans ce sens, cette expression contient aussi un élément de respect, de fidélité, d’attachement et de confiance en Dieu. La crainte du Seigneur est le commencement de la sagesse : c’est le point de départ, l’origine, le début du chemin qui  conduit à la sagesse. Celle-ci ne peut pas commencer autrement, et il n’est pas possible de trouver un autre commencement pour cette sagesse. Vouloir connaître la sagesse à partir d’une autre origine que cette crainte de Dieu serait une illusion et une tromperie. De la même façon, la discipline ou l’instruction seules ne peuvent conduire à l’acquisition de la sagesse. Sans ce fondement qu’est la crainte du Seigneur, tout l’édifice éducatif s’écroule !

 

            Nous pouvons aller plus loin encore : la crainte du Seigneur n’est pas seulement un point de départ. En effet, nous pouvons lire : « La crainte de l’Eternel enseigne la sagesse, Et l’humilité précède la gloire » (Pr 15 :33) Et le terme « enseigne » ici n’est rien d’autre que la traduction de notre fameux « musar ». Le point de départ ne suffit pas ; il existe une véritable formation, une instruction pédagogique que l’homme peut recevoir pour atteindre la sagesse, grâce à l’obéissance à la volonté de Dieu, autrement dit à la crainte du Seigneur. Cet enseignement, nous l’avons vu, se fait pratiquement par l’intermédiaires d’hommes et de femmes, le père, la mère, le maître, le sage, qui ont déjà acquis la sagesse par ce moyen de la crainte de Dieu. Mais la crainte de l’Eternel est aussi, en elle-même, ce pédagogue qui accompagne tout le long du chemin, instruit, discipline, fait découvrir la vie. Elle n’est donc pas une attitude initiale, mais une orientation permanente qui est appelée à augmenter au fur et à mesure que notre expérience grandit. « La sagesse doit toujours commencer par le respect du Seigneur ; elle doit se laisser accompagner par lui, elle doit accepter d’être corrigée par lui : « le respect du Seigneur corrige en vue de la sagesse », ce que l’on peut interpréter littéralement : « le respect du Seigneur est la correction de la sagesse » ; il la critique et la redresse.[6] » Cette crainte de l’Eternel, fondement de la sagesse, est aussi la sagesse elle-même : nous lisons cela dans le livre de Job : « la crainte du Seigneur, c’est la sagesse » (Job 28 : 28) Il n’y a donc pas de sagesse, de discipline ou d’instruction « laïque » d’un point de vue biblique ; notre vision de la discipline et de la correction n’est pas seulement celle que le père, la mère, le maître ou le sage donnent, mais celle que Dieu lui-même accorde.

 



[1] Traduction de André Lelièvre et Alphonse Maillot dans leur commentaire des Proverbes chapitres 1 à 9, p 53, Lectio Divina, CERF.

[2] Id, p 53

[3] James L. Crenshaw “Education in Ancient Israël” Doubleday, p 279

[4] Gerhardt Von Rad : « Israël et la sagesse »p 26, édition Labor et Fides, Genève

[5] D’après un spécialiste de la question, L. Derousseaux « La crainte de Dieu dans l’Ancien Testament »

[6] André Lelièvre et Alphonse Maillot dans leur commentaire des Proverbes chapitres 1 à 9, p 24, Lectio Divina, CERF.

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